Mode et Costumes
A ne pas rater dans toutes les bonnes librairies...
Hugues Vassal, une autre version des coulisses
Par Anne-Sophie Pinçon et Caroline Plaud
Reporter- photographe et co-fondateur de l’agence Gamma, Hugues Vassal témoigne des sixties grâce à ses prises de vues où les instants choisis se découvrent souvent marqueurs de l'intime. Ses clichés se révèlent être une source précieuse pour le travail des costumiers et historiens de mode, qui y apprécieront les authentiques tenues et poses spontanées de stars de la chanson, du cinéma et de personnalités du gotha.
Une rencontre providentielle : Edith Piaf
Automne 1957, locaux du magazine France Dimanche. Le téléphone sonne. C’est Edith Piaf, qui a besoin d’un photographe pour immortaliser son nouvel amant. Seul dans les bureaux, Hugues Vassal prend l’unique Mistral, direction Dijon, avec un Reflex pour seul équipement. Timide, sans cravate ni blazer – une audace à l’époque –, son allure séduire pourtant la chanteuse pour qui « être pauvre c’est comme si vous étiez en smoking ». Sa discrétion plaît. Hugues Vassal saura s’accommoder du caractère tempétueux de la Môme, jusqu’au décès de celle-ci en 1963, et capturer ses moments de repos, à la campagne, avant et après les spectacles, dans une chambre d’hôtel... En conséquence de son travail avec Piaf, et grâce à son attitude mesurée et affable, il approche aisément les célébrités de l’époque, notamment Charles Aznavour, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Jacques Brel, Michel Simon, Grace Kelly, Françoise Hardy, Serge Gainsbourg, Dalida… Mais sa carrière prend un nouveau tournant lorsqu’il s’associe à Gilles Caron et Raymond Depardon en 1967. L’agence Gamma démarre, et vit financièrement grâce aux reportages dédiés au show-biz, notamment les clichés de Johnny Hallyday réalisés au Brésil la même année.
Même si toutes ces rencontres forment de merveilleux souvenirs, Hugues Vassal reste un reporter, qui aime se confronter – et ce jusqu’à aujourd’hui – à des sujets d’actualités plus “chauds”. C’est ainsi qu’il part dans des pays politiquement instables tels que l’Afrique du Sud (1969) et la Chine (1970), où il réalise de précieux clichés de l’Apartheid et de la Révolution culturelle. Il renoue avec son rôle de “confident photographique” en 1968, lors d’un voyage en Thaïlande aux côtés du Shah d’Iran, puis à son retour à Téhéran. Amusée par la maladresse de Vassal, qui trébuche lors de la salutation protocolaire, la reine Farah voit en lui la personne qui immortalisera sa vie de maman heureuse et épanouie, mais aussi d’impératrice pour des événements plus officiels. Il photographie alors les enfants du Shah, et leurs parents, dans leur vie quotidienne en Iran, vêtus à l’occidentale pour la forme, et à l’orientale pour les tissus : des choix stylistiques voulus par la reine, au goût affirmé et qui connaissait les tendances en matière de mode. En outre, sa tenue de sacre et sa couronne, respectivement créées par Dior et Van Cleef et Arpels en 1967, attestent de son intérêt pour les maisons françaises. Hugues Vassal a donc été le témoin privilégié de celle que l’on surnomme la Jackie Kennedy orientale…
Le photojournalisme et la notion d’auteur
Les notions de reportage, de photoreportage ou de photojournalisme renvoient à démarches différentes, car il y a autant de photographes que d’approches de ces notions. Cependant, on peut identifier un certain type de photographies comme autant de documents et témoignages des événements historiques, ce qui semble correspondre au travail d’Hugues Vassal. Son profil est d’autant plus parlant qu’à cette même époque, la notion d’auteur, reprise au cinéma des années 1960, « devenait la figure d’une activité professionnelle et sociale de production d’images, répondant à la crise du photojournalisme et du reportage, dominants en France comme aux États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. (…) La revendication de la position d’auteur dans le champ de la photographie signifiait, bien sûr, la liberté de choix du sujet et du traitement de ce sujet, par opposition aux contraintes du photojournalisme. Elle servait également à justifier le déplacement de l’inscription culturelle de la photographie, du domaine de l’information vers le domaine du musée. »
En France, le parcours d’un photographe comme Raymond Depardon, cité plus haut, a particulièrement illustré ce passage d’une culture de la photographie de presse et d’agences à celle de la photographie d’auteur : « Ce que je reproche aujourd’hui à certains photographes, expliquait-il en 2000, c’est de ne pas se considérer comme des auteurs. Ils ont toujours ce vieux complexe que je connais bien […], le complexe du photojournalisme. […] Être journaliste pour rendre compte d’une réalité. »
Les thèmes de l’intime et de la célébrité dans la photographie
Le thème de l’intime colle à l’œuvre d’Hugues Vassal, et l’on peut rapprocher cela de la démarche du photographe Jacques Henri Lartigue, qui restitue dans les Années folles l’atmosphère de l’entre-deux guerres : succession de fêtes, de villégiatures et de rencontres avec des personnalités mondaines et artistiques qui deviennent bien souvent ses amis intimes. Comme lui, Hugues Vassal pratique la photographie de façon instinctive, spontanée . Aussi, la photographie de célébrités est l’une des caractéristiques du travail d’Hugues Vassal, notamment par son regard sur l’intime. La sociologue Nathalie Heinich a exploré le rapport du médium à la constitution de la célébrité : « L’invention puis l’expansion à grande échelle du portrait photographique a profondément bouleversé les modalités traditionnelles de la célébrité. »
Simple et engageant, comme l’ont considéré tant de personnalités, Hugues Vassal semble n’avoir jamais changé. Son œuvre parle pour lui.